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1803 Masselot criminel

                                                                  Tribunal criminel de la Seine

Ce tribunal a mis, le 22 brumaire an 12 (1803), en jugement, le nommé Masselot (l'histoire 
n'a pas retenu son prénom), natif de Montreuil, près Paris, âgé de vingt-deux ans, accusé 
d'assassinat commis sur la personne de Penon fils,jeune homme du même âge et de la 
même commune.

Après l’audition des témoins, le commissaire du gouvernement a pris la parole. Il a d'abord
présente aux jurés les trois dispositions de la loi à l’égard de l'homicide : elle l'absout 
quand il est commis dans le cas dune légitime défense; elle l'excuse quand il est commis 
par suite de provocations violentes elle le punit quand il est commis sans nécessité et 
avec préméditation.

Le 21 fructidor dernier, Masselot, revenu dans le pays après une longue absence, entre chez 
le Citoyen Sebille, marchand de vin, y rencontre plusieurs jeunes gens, qui lui demandent
où il a été et ce qu'il a fait. II répond avec jactance qu'il sort de la 6e. légère ; et vante ses
exploits.

Un nommé Langlois lui dit qu'il en impose, qu'il n’a pas servi. Masselot avoue qu'il a fait 
un mensonge suggéré par la vanité. Il devient alors un sujet de railleries. Penon lui en 
adresse de très piquantes.Il est question de se battre au sabre le lendemain. Faute d'argent, 
chacun dépose sa cravate entre les mains d'Àdet, pour gage de l'exactitude à se rendre au 
duel. A mi­nuit, on se levé de table. Trois jeunes gens s'en vont d'un côté ; trois autres, 
Penon, Vitry, Adet, se retirent du côté opposé,Masselot se joint à ces derniers, il prend 
Penon par le bras, entre avec lui dans la Ruelle-aux-Cailloux; Vitry et Alet suivaient à quinze
pas de distance. Bientôt ils entendent Penon s'écrier : « Oh! le traître! il a un couteau!»
Ils courent vers Penon frappé d'un coup mortel, le transportent chez le C. Mounier, officier
de santé, oùle blessé expire aussitôt. Tels sont les faits qui résultent des débats.

Masselot sentant bien que ces faits, ainsi exposés, appellent sur lui une peine grave, s’efforce
de les présenter  sous  un   autre point de vue pour se mettre dans le cas de l'absolution  
par le  fait  d'une légitime   défense,   ou   du   moins  dans  le   cas de l’excuse par le fait 
de provocations violentes.
Il prétend  que  Penon   l'a   cruellement   injurié ;   qu'il   en   a   été frappé  que Vitry et 
Adel se sont joints à Penon, et que pour résilier à ces trois assaillants; il a été obligé de 
recourir a son couteau. Ce moyen de défense paraît illusoire. 
 
Les  dépositions du marchand de vin font connaître que   la  sortie   du cabaret a   été  
très-paisible. Masselot ne   devait  pas suivre Penonqui l'avait si amèrement plaisanté. 
Quand Masselot et Penon, suivi de Vitry et d'Adet, entrèrent dans la Ruelle-aux-Cailloux, 
ils étaient  fort  paisibles,   au   rapport du C. Bassoran, demeurant à l’encoignure de cette 
ruelle, qui dit   les avoir reconnus   marchant fort tranquillement.
 
 Il   n'y avait donc point de  dispute, point de mauvais  traitement, et donc point de raison 
pour que Masselot se décidât à tirer un couteau ; aucune contusion, aucune meurtrissure n'a 
annoncé qu'il eût été frappé. L'exclamation de Penon: « Ah! le traître! il a un couteau!,» 
marque la  surprise d'un homme qui est attaqué, non d'un homme qui attaque; et Penon, 
d'une stature, d'une force supérieure à celle de l'accusé, d'après son aveu, aurait pu lutter 
contre lui assez longtemps pour donner à Vitry et à Adet le temps de venir à son secours, 
puisqu'ils  n’étaient qu'à quinze pas  en arrière. 
 
Mais, citoyens jurés, ajoute   le commissaire du gouvernement,  ce crime commis à une 
heure du matin;ne fut pas couvert seulement des voiles de la nuit ,il est un autre  voile 
qu'il m'est pénible de   déchirer.   
Masselot   devait se   battre  le  lendemain  avec Penon.  Il pouvait craindre de tomber  
sous  le  sabre de  cet homme   robuste, et,   pour  prévenir ce danger, n'a-t-il pu concevoir  
l'idée de profiter de l'occasion qui  se  présentait pour se défaire,  dans l'ombre, d'un 
adversaire redouté?
Cette idée est affreuse à concevoir, affreuse à vous être présentée, citoyens jurés ; 
mais c'est parce qu'elle est appuyée par la vraisemblance, qu'un rigoureux devoir m'ordonne 
de vous l'indiquer, pour vous mettre à même de l'apprécier.
 
Le défenseur a refusé de croire aux dépositions des principaux témoins. Adet et Vitry. 
« Est-il vraisemblable, selon loi, que Masselot ait suivi volontairement des hommes dont 
la compagnie devait lui être insupportable, par les plaisanteries qui se renouvelaient toujours 
sur son compte ? N’était-il pas naturel qu'il s'en séparât au plutôt pour réfléchir sur les 
moyens d'éviter un duel qu'il redoutait et n'avait accepté que malgré lui ? 
La vraisemblance veut que l’on croie au rapport de l’accusé, qui dit avoir été entraîné par 
Vitry et Adet, par Adet surtout, son ami, son compagnon de l'enfance, lequel lui protesta 
qu'il n'avait rien à craindre. Cette assurance n’a-t-elle pu donner à Masselot l'espoir d'un 
prompt arrangement qui préviendrait le duel et ferait cesser ses inquiétudes?
 
Masselot les suit; Penon se jette sur lui, le terrasse, le frappe, Vitry et Adet qui auraient 
dû arrêter l'agresseur, l'excitent, l'aident même. Ils savaient quels reproches cette circonstance 
devait élever contre eux ; ils ont donné à entendre que Mas­selot les avait suivis volontairement, 
qu'ils étaient à quinze pas en arrière, afin qu'on puisse dire que, s'ils ne se sont pas mis entre 
l'un et l'autre adversaire avant qu'il y en eût un de frappé; c'est qu'ils étaient trop éloignés. 
Mais, pour justifier Masselot, il suffit des paroles échappées à Penon, avant d'expirer: 
« Qui vous a mis dans cet état; lui demanda l'officier de santé? » 
« Un passant inconnu, répond le blessé » 
« Ainsi, ajoute le défenseur, soit que Penon ne crût point sa blessure mortelle, soit qu'il sentit 
sa fin approcher, il parait s'être rendu justice, en ne voulant point compromettre la vie d'un 
homme, qu'il s'accusait d’avoir horriblement maltraité. Cette réticence du moribond est un 
aveu des violentes provocations qu'il venait de commettre contre Masselot, qu'il n’osa nommer. 
Ainsi la victime justifie le meurtrier, le place dans le cas de la légitime défense, et semble 
invoquer pour lui l'indulgence de la loi. » 
 
Les jurés sont entrés à quatre heures dans leur salle de conseil, et n'ont donné qu'à huit 
heures du soir leur déclaration, portant qu'il est constant que Masselot a donné volontairement 
la mort au C. Penon, mais qu’il n’est pas constant qu'il l'ait fait avec préméditation. 
En conséquence, le tribunal a condamné Masselot à vingt années de fers.

Source: Journal des débats du 25 brumaire an XII,p.3&4-Jugement au tribunal criminel de la Seine- Imprimerie de Le Normant/Gallica-BNF